Le suivi du développement d’un logiciel libre par l’expert-comptable

L’étude présente le traitement comptable des coûts de développement d’un logiciel libre.

Elle est extraite du du mémoire d’expertise comptable « conseils à la création et suivi du développement d’un logiciel libre » soutenu par Nassim Bendjelloul.

Aménagement des droits patrimoniaux par les licences libres et conséquences comptables ?

Les droits patrimoniaux sur une œuvre logicielle comprennent le droit de communication au public et le droit de reproduction qui couvre les droits d’adaptation, de traduction, de location et de prêt, et toute autre forme de distribution.

SECTION 1 – Étendue et nature des droits d’exploitation démembrés

Une licence libre organise une cession de droits d’auteur non exclusive, très souvent à titre gracieux et consacre le partage de l’exploitation de l’œuvre.
L’auteur qui choisit une licence libre s’engage à concéder une série de droits et à communiquer les codes sources. Le licencié, en contrepartie, doit respecter les obligations prévues par la licence.
Il convient d’analyser les droits concédés au licencié par destination du logiciel afin de se conformer à l’esprit des textes comptables actuels.

§1 Les droits concédés au licencié par destination du logiciel

A)    Logiciel libre à usage interne

Le développement d’un logiciel à usage interne est destiné à couvrir prioritairement les besoins propres d’une entreprise. De nature spécifique, le logiciel à usage interne est très généralement destiné à servir de façon durable l’activité.

Le développement du logiciel est censé entrainer une économie de coût ou une augmentation du rendement des activités de l’entreprise.

La diffusion sous licence libre d’un logiciel interne laisse supposer qu’il peut présenter un intérêt économique pour d’autres entités.

Nous pouvons citer à titre d’exemple le logiciel VIGIE 2, développé en interne, afin de gérer les navires et les escales maritimes au sein du grand port maritime de Bordeaux. La réussite technique a permis au port de répondre à des appels d’offres afin d’engager des partenariats en vue de l’implantation du logiciel sous licence libre GPL dans d’autres ports.

La diffusion sous licence libre intéresse au plus haut point les autres ports, car ils peuvent modifier le code source sans restrictions.

Résumé des droits concédés et limites :

Droit d’utilisation

La nature spécifique de l’œuvre fait que la diffusion est limitée. Le droit d’utilisation est limité de fait à des acteurs bien précis.

Droit d’adaptation

La contrepartie qu’une licence peut imposer est sans effet si l’œuvre dérivée n’est pas redistribuée.

Droit de reproduction

Ce droit a un effet limité du fait de la faible diffusion de l’œuvre.

Droit de distribution

Ce droit a un effet limité du fait de la faible diffusion de l’œuvre.

En résumé, le logiciel libre ou son œuvre dérivée utilisée dans un cadre strictement interne limite l’effet juridique d’une licence libre.

En matière d’œuvre dérivée, on ne peut par exemple contraindre le licencié à une communication de son code source pour les travaux de développement accomplis en interne lorsque l’usage demeure strictement interne et que l’œuvre n’est pas redistribuée.

Compte tenu de la spécificité du logiciel et du nombre restreint d’utilisateurs, la diffusion sous licence libre d’un logiciel à usage interne semble principalement motivée par la volonté de partenariats inter-entreprises ou entre institutions car elle apporte une sécurité juridique.

B)    Logiciel libre à usage commercial dans le cadre d’une commande client

L’avis du Conseil National de la Comptabilité d’avril 1987 n°31 précise que l’usage commercial s’applique aux « logiciels destinés à être vendus, loués ou commercialisés sous d’autres formes ».

Cette large définition incluant les termes « commercialisés sous d’autres formes » semble intégrer les différentes stratégies de commercialisation par des contrats de prestations de services (support, maintenance, garantie…).

En matière juridique, nous ne pouvons donner plus de droits à un client dans le cadre d’une commande de logiciel que nous n’en possédons nous même sur l’œuvre. Cette remarque concerne particulièrement l’œuvre dérivée développée pour autrui.

En principe, dans le cadre d’un contrat de commande, le créateur transfère ses droits sur l’œuvre au cocontractant exclusivement. Lorsque le contrat de commande prévoit que l’œuvre transférée est sous licence libre, le commanditaire se voit transférer les droits patrimoniaux, mais toute rediffusion de l’œuvre se voit appliquer les conditions de la licence.

Le transfert des droits patrimoniaux, élément clé de la commande, se fait sous la condition de respecter la licence libre.

Le prix peut être gracieux, avec à la clé des contrats de services divers : maintenance, support, garantie, et formation ou à titre onéreux rémunérant généralement les développements spécifiques.

Le prestataire garde ses droits en matière de propriété intellectuelle et peut ainsi proposer pour totalité ou partie, le logiciel ou les développements spécifiques à une autre entreprise.

Le droit incorporel n’est donc pas transféré.

Détenteur de l’entière propriété intellectuelle de l’œuvre, nous pouvons également décider de soumettre le produit à de multiples licences afin de l’adapter aux besoins de la clientèle.

Schéma synthétisant l’œuvre primaire développée dans le cadre d’une commande client.

Schéma synthétisant l’œuvre dérivée développée dans le cadre d’une commande client.

 

Résumé des droits concédés et limites :

Droit d’utilisation

Aucune restriction.

Droit d’adaptation

Ce droit s’applique avec ou sans contrepartie selon le contrat de commande et les droits antérieurs.

Droit de reproduction

Ce droit s’applique sans restriction.

Droit de distribution

Si le contrat de commande maintient une licence libre à effet « viral », pas de possibilité de changer la licence.
La licence libre d’origine continue à s’appliquer aux adaptations ultérieures du logiciel.
Risques d’incompatibilités de licences en cas d’intégration d’un code source dit « propriétaire ».

C)    « Progiciel » libre à destination de plusieurs utilisateurs

Conçu à l’origine pour répondre au besoin de plusieurs utilisateurs, le progiciel libre a vocation à faire l’objet d’une large diffusion. Il peut être commercial lorsqu’il permet une offre de services ou une stratégie de double licence.

Le créateur transmet aux multiples licenciés l’ensemble des droits d’exploitation.

Droit d’utilisation

Aucune restriction.

Droit d’adaptation

Le droit d’adaptation implique la constitution autour du projet d’une communauté externe de développeurs.
La complexité de mise en œuvre d’une communauté autour du projet fait que ce droit ne sera pas toujours appliqué dans les faits.

Droit de reproduction

Ce droit s’applique sans restriction.

Droit de distribution

Si la licence libre est de type « copyleft », les composants logiciels à licence propriétaire développés par autrui ou non compatible avec la licence primaire ne pourront pas être distribués avec le progiciel.

Dans le cas d’un progiciel, le détenteur initial des droits patrimoniaux garde le droit incorporel sur le logiciel. Le transfert des droits très généralement à titre gratuit, vise à favoriser l’adoption massive du logiciel.

§2 Étendue et nature des droits concédés par stratégies de licence

A) >Modèle classique et ses variantes
1) >Stratégie fondée sur les prestations de support, de maintenance et de formation

La réussite de cette stratégie nécessite de maitriser les versions du produit, le code source, et les correctifs et de gérer s’il y a lieu la communauté autour du projet.

Le logiciel peut être librement téléchargé et déployé. Les communautés peuvent s’organiser autour du projet.

Les droits d’utilisation, d’adaptation, de reproduction et de distribution sont concédés afin de bénéficier des améliorations apportées au projet.

Exemple de projet avec une forte communauté : le logiciel libre OpenERP.

Des sociétés de services en logiciel libre se sont créées autour du projet afin de vendre également des prestations de support, de maintenance, de formation et de développement spécifique.

B) Modèle à licence double

1) Dépendance entre la licence commerciale et le support

Le créateur ou l’éditeur met à la disposition de la communauté en licence libre une version du logiciel qualifiée de non stable et ne présentant aucune garantie.

Une version du logiciel présentée comme stable et fiable est diffusée avec une licence non libre. Notons par ailleurs que si la version « communautaire » est trop instable elle risque de ternir l’image du produit et peut nuire à sa promotion.

Le modèle économique est un modèle classique de vente de licence et l’ouverture du code source de la version non stable est censée augmenter le nombre d’utilisateurs.

Les droits d’adaptation et de redistribution sont réellement exercés lorsqu’une entité ou une communauté de développeurs s’organise autour du projet pour faire évoluer la version non stable.

Licence double définie selon le niveau de fonctionnalités

Une version améliorée avec des fonctionnalités avancées est diffusée en licence non libre.

Les droits concédés ne visent donc qu’une partie du programme.
C) Modèle à licence décalée  

Cette stratégie consiste pour un éditeur à distribuer sous licence libre les anciennes versions de ses logiciels. Une prestation de support peut également être assurée.

Les versions récentes sont censées être commercialisées sous forme de vente de licence classique.

Les droits concédés ne concernent pas les produits susceptibles d’intégrer une innovation récente.

En résumé, après analyse des droits concédés tant par destination que par stratégies de licence, il apparait que le droit d’auteur est préservé. Seules les entités qui détiennent l’entière propriété intellectuelle de l’œuvre jouissent d’un droit incorporel exclusif.

La licence libre ne transmet pas le droit incorporel exclusif

Dans le cadre d’un contrat de commande client, lorsque les développements sont réutilisables, nous pouvons nous interroger sur le caractère de stock de production ou d’actif incorporel des opérations de développement, car le droit incorporel exclusif n’est pas transmis au commanditaire.